Irina
by Denis Emorine
Translated from the French by Phillip John Usher
He was
fifty-six. For a little over a year the
attacks had become less frequent. In the
bedroom mirror he saw a puffy face with thickened traits. Jean had never found himself handsome but,
recently, he had been avoiding his reflection in the mirror. He sighed, turned
around. The writer, as Jean called himself, looked down at his watch: she would
be here soon. The young woman had come up to him yesterday, after the conference,
and said she was a journalist. She wrote for some review whose name he didn’t
know. What was her name again? Irina… Curious, he thought, a Russian first
name and yet she spoke with an Italian accent.
The writer, who loved things exotic,
was delighted by this unexpected contradiction.
Irina had wanted to continue the interview in a more
private setting. “My hotel room, is it really suitable for me to meet a young
woman there who could be my daughter?” thought the writer smugly, proud of
himself. Right away, he had made his
advances with a disconcerting amount of self-control. And beautiful Irina hasn’t tried to push him
away: “What will be will be” she replied, her eyes lighted by a will for
challenge.
Jean had seen her walk away, unsettlingly striking in her suit of royal blue.
Irina waved a small wave before disappearing. “This evening, she would be his,
that was sure.”
Back at his hotel, a message was waiting waiting for him from the mysterious
journalist which left no doubt as to her intentions. The writer was gloated on
his luck. Decidedly, literature could
lead to anything or rather… to anyone, he corrected, happy with his stroke of
wit.
Jean thought about his wife who had stayed in Paris and he quickly realized
-not displeased- that he was going to cheat on her for the first time. For
sure, there had been plenty of opportunities but, in thirty years of marriage,
the writer had only committed adultery in his imagination. So, why then take
this opportunity at a conference in Lisbon on “Culture : Europe’s (heavy)
conscience”? He didn’t know. Their meeting certainly had spice to it. Obviously, literature was only a pretext: the
unknown woman was no more a journalist than he was an archbishop; she had deliberately
chosen to seduce him. It was not an unpleasant thing.
He flicked through Pavel Armoria’s “Trajectories”, one of the books he’d taken
with him: “The room was in darkness. At present, the old man had nothing to
wait for. He opened his eyes… Rain covered the town.” This sentence made him somewhat melancholy. The
coincidence struck him: it had been raining over Lisbon since he arrived. What
did that matter? He was going to roll in
the hay with this belle inconnue! No
call for the blues, huh? “It’s the first time”, he thought again. “Another good
reason to make the most of it, at your age!” added an interior voice.
She would soon be here now. Jean imagined Irina, slowly undressing in front of
him, revealing… All of a sudden, his heart was knotted with pain: quickly, my
medication, quickly! Had he at least brought it with him? Bent in two, panting,
he rummaged in his suitcase… Not there! Where had his wife put them? … Yes,
he remembered now, his pills were in his suit, on the bed! While he dragged
himself towards the crumpled clothes, someone knocked at the door. He didn’t
open. Irina was in front of him. She looked at him with an indescribable
expression. “Is this what you’re looking for, oh love of my life?” she
laughed. Jean looked up. His medication! How had she been able to…
She must have taken it from his pocket while they’d been speaking. The writer winced with pain, it was a serious
attack. Irina was a couple of steps away,
her poise a challenge. She took off her long blue dress, she was naked. “Come
get them if you want them, my love”, she murmured, “but you’ll have to tackle
me and my body. Be careful, the doctor’s told you to avoid strong emotions”.
Jean could no longer offer any reply.
The pain was increasing, his breath was short. “One last time…” he
mumbled. All of a sudden, he had the impression his wife was leaning over him,
placing her hands on his shoulders. Jean felt a kind of well-being wash over
him. He reached out his arms in her direction, tried once more to stand up before
crashing down heavily to the floor.
Denis Emorine
Irina
Il avait cinquante-six ans. Heureusement, depuis un peu plus d’un an les crises s’étaient estompées. Le miroir de la chambre lui renvoya un visage bouffi, aux traits épais. Jean ne s’était jamais trouvé vraiment beau mais, ces derniers temps, il évitait de se regarder dans la glace. Il soupira puis se détourna. L’écrivain consulta sa montre : elle ne devrait plus tarder maintenant. La jeune femme l’avait accosté hier, après le congrès, en précisant qu’elle était journaliste. Elle écrivait dans une revue dont le nom lui était inconnu. Comment s’appelait-elle, déjà ? Irina … Curieux, pensa-t-il, un prénom russe alors qu’elle parle français avec un accent italien ! Cette anomalie ravissait l’écrivain, grand amateur d’exotisme. Irina avait manifesté le désir de poursuivre l’entretien dans un endroit plus intime. « Ma chambre d’hôtel, est-ce bien convenable pour une jeune femme qui pourrait être ma fille ? » avait rétorqué l’écrivain avec fatuité. Aussitôt, il lui avait fait des avances avec un aplomb déconcertant. La belle Irina ne s’était pas dérobée : « Soit. Advienne que pourra » avait-elle répondu, une lueur de défi dans les yeux.
Jean l’avait regardée s’éloigner, si troublante dans ce tailleur bleu roi. Irina lui fit un petit signe de la main avant de disparaître. Ce soir, elle lui appartiendrait, c’était sûr. A son hôtel l’attendait un message de la mystérieuse journaliste qui ne laissait aucun doute sur ses intentions. L’écrivain jubilait. Décidément la littérature menait à tout ou plutôt… à toutes ! rectifia-t-il, heureux de ce trait d’esprit.
Jean pensa à son épouse restée seule à Paris et brusquement il réalisa -non sans déplaisir- qu’il allait la tromper pour la première fois. Certes, les occasions n’avaient pas manqué ; pourtant, en trente ans de mariage, l’écrivain n’avait commis l’adultère qu’en imagination. Alors, pourquoi à la faveur de ce congrès à Lisbonne sur « La culture : (mauvaise) conscience de l’Europe » ? Il n’aurait su le dire. Cette rencontre ne manquait pas de piquant. Evidemment, la littérature n’était qu’un prétexte : l’inconnue n’était pas plus journaliste que lui archevêque ; elle avait délibérément choisi de le séduire. Ce n’était pas désagréable.
Distraitement, l’écrivain feuilleta « Trajectoires » de Pavel Armoria, un des livres qu’il avait emportés : «La pièce était dans la pénombre. A présent, le vieil homme n’attendait plus rien. Il rouvrit les yeux …. La pluie recouvrait la ville. » Cette phrase lui causa une certaine mélancolie. La coïncidence le frappa : c’était vrai, il pleuvait sur Lisbonne depuis son arrivée. Aucune importance ! Il allait s’envoyer en l’air avec une belle inconnue ! Pas de quoi succomber au spleen, non ? « C’est la première fois » pensa-t-il encore. « Raison de plus pour en profiter, à ton âge ! » ajouta une autre voix intérieure.
Elle n’allait plus tarder à présent. Jean imaginait Irina, se déshabillant devant lui avec lenteur, dévoilant… Soudain la douleur vrilla son cœur : les médicaments, vite, ses médicaments ! Est-ce qu’il les avait emportés, au moins ? Cassé en deux, haletant, il fouilla dans sa valise…Rien ! Où sa femme avait-elle bien pu ? … Oui, il s’en souvenait à présent, les pilules étaient dans son costume, sur le lit ! L’écrivain se traînait vers le vêtement froissé lorsqu’on frappa à la porte. Il ne répondit pas. Irina était devant lui. Elle le regardait avec une expression indéfinissable. « C’est ça que tu cherches, amour de ma vie ? » s’exclama-t-elle en riant. Jean releva la tête. Ses médicaments ! Comment avait-elle pu ? Elle les avait certainement pris dans sa poche, lors de leur conversation. L’écrivain grimaçait de douleur, la crise était sérieuse. Irina se tenait à quelques pas de lui dans une attitude de défi. Elle ôta sa longue robe bleue. Elle était nue. « Viens les chercher, mon amour, murmura-t-elle, mais il faudra me passer sur le corps. Fais très attention, le médecin t’a interdit toute émotion. » Jean n’était plus en état de répondre. La douleur augmentait, le souffle lui manquait. « Une dernière fois… » balbutia-t-il. Soudain, il eut l’impression que sa femme se penchait sur lui et posait les mains sur ses épaules. Jean ressentit une sorte de bien-être. Il tendit les bras dans sa direction, essaya de se relever avant de s’écrouler lourdement sur le sol.